L’inquiétude monte face au virus Zika. Se propageant de manière explosive, il est fortement soupçonné de causer des troubles neurologiques, le syndrome de Guillain-Barré, et des malformations congénitales, les microcéphalies. Lundi 1er février, à l’issue d’une réunion d’experts, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a décrété que l’épidémie constitue « une urgence de santé publique de portée mondiale ».
Transmis par des moustiques, comme la dengue ou le chikungunya, ce virus a déjà touché 1,5 million de personnes au Brésil, et 3 à 4 millions de cas sont attendus sur le continent américain en 2016. Des cas importés ont été identifiés en Europe, dont cinq en France métropolitaine. Accusée d’avoir réagi trop faiblement lors de l’épidémie d’Ebola, l’OMS a annoncé toute une série de recommandations pour mieux lutter contre cette nouvelle menace. L’une des priorités est d’accroître la surveillance des cas de syndromes de Guillain-Barré et des microcéphalies dans les zones touchées par le virus Zika, afin de déterminer si celui-ci est directement en cause, ou s’il existe d’autres facteurs. L’OMS prône également une intensification des recherches pour mettre au point des traitements, un vaccin et de nouveaux tests de diagnostic de cette infection. Aucune mesure de restriction des voyages et des échanges commerciaux n’est en revanche envisagée.
En dix questions, tour d’horizon sur un virus émergent qui pose de nouveaux défis.
D’où vient Zika, et jusqu’où ira-t-il ?
Le Zika est un arbovirus transmis par la piqûre de moustiques du genre Aedes (aegypti ou albopictus). De la famille des flavivirus, comme ceux de la dengue ou de la fièvre jaune, le Zika a été identifié pour la première fois chez un singe macaque rhésus dans une forêt ougandaise en 1947. Il a ensuite été isolé chez l’homme en 1952, en Ouganda et en Tanzanie.
La première épidémie s’est déclarée dans les îles Yap (Micronésie) en 2007, où elle aurait touché les trois quarts de la population. D’autres ont suivi, en Polynésie française d’octobre 2013 à avril 2014, et au Brésil, depuis mai 2015. Les premiers cas brésiliens ont été décrits dans deux articles publiés en mai et juin 2015. Depuis octobre 2015, le virus s’est propagé dans des pays d’Amérique centrale.
La Guyane et la Martinique sont à leur tour en phase épidémique. « C’est la troisième épidémie d’arbovirose après la dengue et le chikungunya, et probablement pas la dernière. La diffusion du Zika a été extrêmement rapide à l’échelle planétaire », souligne François Bourdillon, directeur général de l’Institut national de veille sanitaire (InVS).
Le recueil de données se poursuit pour affiner les modèles destinés à décrire l’évolution de l’épidémie et évaluer les moyens à mettre en œuvre pour la juguler et prendre en charge les malades. Mais, note Simon Cauchemez, spécialiste de la modélisation à l’Institut Pasteur, il faudra encore « quelques semaines » pour proposer des scénarios étayés.
Est-ce un virus mutant ?
C’est ce qui pourrait expliquer l’explosion récente des cas, selon des experts cités dans le New Scientist. L’hypothèse semble cependant peu probable aux yeux d’autres spécialistes interrogés. L’analyse du génome entier du virus Zika qui circule au Brésil montre une similitude « quasi complète » avec les souches à l’origine de l’épidémie qui a sévi en 2013 et 2014 dans le Pacifique, selon une étude parue dans The Lancet le 16 janvier, menée par les chercheurs de l’Institut Pasteur de Guyane.
Comment reconnaître la maladie ?
L’infection est asymptomatique dans les trois-quarts des cas. Les symptômes, quand ils existent, apparaissent trois à douze jours après la piqûre, sous forme d’éruption cutanée avec ou sans fièvre. A cela peuvent s’ajouter fatigue, maux de tête et courbatures, laissant penser à un syndrome grippal. Le virus peut aussi se manifester par une conjonctivite, un œdème des mains ou des pieds. Ces symptômes disparaissent généralement en deux à sept jours, précise l’OMS. A priori, l’infection est immunisante, ce qui signifie qu’on ne peut pas contracter deux fois ce virus. Zika et ses conséquences chez l’homme restent toutefois mal connus, concèdent les spécialistes.
Comment la détecter ?
Les gènes du virus peuvent être repérés par des analyses sanguines, d’urine ou de salive. Mais la fenêtre est courte. « Le virus est présent dans le sang entre trois à cinq jours, dans les urines pendant environ dix jours, dans la salive entre trois à cinq jours. Il n’y a pas de données sur le lait maternel », explique Isabelle Leparc-Goffart, coordinatrice du Centre national des arbovirus (CNR-IRBA). Ces chiffres sont issus de données publiées sur quelques cas. Le CNR devrait fournir prochainement des données plus précises.
En cas de résultat négatif malgré des symptômes évocateurs d’une infection à virus Zika, un diagnostic sérologique (recherche d’anticorps) est effectué par les seuls CNR (1 en Guyane et 1 en France métropolitaine, à Marseille, qui en a déjà réalisé plus de 1 000).
La circulation concomitante de la dengue et du chikungunya (proches du Zika) complique le diagnostic, tant clinique que biologique. Du fait de réactions sérologiques croisées entre ces virus, les résultats peuvent être faussement positifs.
Quels sont les risques pour une femme enceinte ?
C’est l’un des principaux sujets de préoccupation. Même si la preuve n’est pas encore formellement établie, il est désormais hautement probable qu’une infection par le virus Zika pendant la grossesse peut entraîner de graves anomalies du développement cérébral, comme les microcéphalies (trop petite taille du cerveau et du périmètre crânien, souvent associée à des lésions cérébrales). Les atteintes les plus sévères peuvent conduire à une mort in utero ou dans les premiers jours de vie.
Début 2016, parallèlement à la flambée épidémique du virus Zika, les autorités sanitaires locales du Brésil ont recensé plus de 4 000 cas suspects de microcéphalie, soit une multiplication par 20 à 30 par rapport aux années précédentes.
La microcéphalie est une malformation rare : aux Etats-Unis, 2 à 12 cas sont recensés pour 10 000 naissances vivantes, indique le centre de contrôle des maladies (CDC). Elle peut entraîner un handicap très lourd, avec des troubles psychomoteurs, moteurs, intellectuels, isolés ou associés.
« Les microcéphalies peuvent relever de plusieurs causes, notamment toxiques, génétiques ou infectieuses. Mais au Brésil, la corrélation de l’excès de cas avec l’épidémie d’infection à Zika, dans le temps et dans l’espace, est très suggestive d’un lien de cause à effet, souligne Jet de Valk, responsable de l’unité zoonoses et maladies à transmission vectorielle à l’InVS. Dans plusieurs cas, du virus Zika a été mis en évidence dans le liquide amniotique, ce qui est un argument supplémentaire. »
Des études sont en cours pour établir formellement le lien et répondre aux nombreuses questions en suspens. « Pour d’autres virus, comme le cytomégalovirus, le placenta joue un rôle de barrière. Une infection de la femme enceinte n’est donc pas toujours transmise à son fœtus. Il est établi que les atteintes pour l’enfant à naître dépendent du moment où le virus atteint le fœtus, explique le professeur Yves Ville, chef de la maternité de l’hôpital Necker (AP-HP), à Paris. Quand l’infection est précoce, au premier trimestre, c’est souvent la loi du tout ou rien : soit aucune lésion, soit une atteinte majeure, qui aboutit souvent à une fausse couche. Un passage plus tardif peut avoir des conséquences plus modestes (retard de croissance intra-utérin) et réversibles. Il en va sans doute de même pour Zika. »
Que faire pendant la grossesse ?
Le message est clair : en France, la ministre de la santé Marisol Touraine déconseille aux femmes enceintes de se rendre dans les zones touchées. Le Haut Conseil de santé publique (HCSP) a actualisé ses recommandations sur ce virus le 22 janvier. Celles-ci comprennent l’organisation « d’une information, d’un suivi et d’une prise en charge renforcés de toutes les femmes enceintes dans les zones d’épidémie du virus Zika, que ces femmes soient ou non suspectes d’infection par le virus Zika ». Le HCSP préconise aussi la mise en place « d’un système de surveillance et d’alerte spécifique à la détection d’anomalies congénitales neurologiques ou non ».
La microcéphalie peut être suspectée en échographie au deuxième trimestre de la grossesse, à partir de dix-huit à vingt semaines. Il existe un test diagnostique de l’infection fœtale par l’isolement du virus Zika dans le liquide amniotique après amniocentèse.
En Martinique, où les premiers cas autochtones de Zika ont été détectés en décembre 2015, six femmes enceintes infectées par le virus ont déjà été repérées, qui vont bénéficier de ce suivi renforcé, précise Martine Ledrans, responsable de la Cellule de l’InVS Antilles-Guyane.
Face aux nombreux appels de femmes enceintes revenant d’une zone épidémique, inquiètes pour leur futur enfant, Yves Ville a ouvert une consultation spécialisée Zika à Necker, le 1er février.
Quelles sont les autres complications de l’infection à virus Zika ?
La survenue d’un syndrome de Guillain-Barré (SGB) est l’autre motif de préoccupation. Dû à une atteinte des racines nerveuses, ce syndrome associe des douleurs – musculaires et sur des trajets de nerfs –, des troubles sensitifs (picotements…) et surtout des paralysies d’intensité variable. Après une phase d’extension et de plateau, qui peut durer plusieurs semaines, les signes disparaissent dans 80 % des cas. L’atteinte des muscles respiratoires est la plus redoutée : elle conduit à une assistance respiratoire chez environ 20 % des malades.
Le SGB est rare, sa prévalence est de l’ordre de 1 à 2 cas pour 100 000 personnes en Europe. Il est précédé dans plus de la moitié des cas par des symptômes infectieux, et de nombreux germes, bactéries ou virus, se trouvent à son origine : grippe, cytomégalovirus… C’est aussi une complication de certaines vaccinations. Des dizaines de cas de SGB possiblement liés à une infection par Zika sont en cours d’investigation.
« Aux Antilles, les Agences régionales de santé ont évalué les capacités des services de réanimation et les CHU se préparent pour faire face. Par exemple, en Martinique, une soixantaine de cas de syndrome de Guillain-Barré pourraient survenir, si l’on se fonde sur la fréquence des cas survenus en Polynésie », indique Jet de Valk.
Ces données, concernant 42 patients, ont été analysées par l’équipe du professeur Arnaud Fontanet (unité d’épidémiologie des maladies émergentes, Institut Pasteur) pour mieux caractériser les SGB liés au virus Zika. Les résultats devraient être publiés dans les prochaines semaines.
La transmission est-elle possible entre humains ?
« La transmission est presque exclusivement vectorielle », note le rapport du HCSP. Un cas de transmission par voie sexuelle a été rapporté dans la littérature. Six jours après son retour d’un voyage au Sénégal en 2008 pour des travaux sur le paludisme, le chercheur américain Brian Foy présente des signes cliniques préoccupants. Quatre jours plus tard, c’est au tour de son épouse, pourtant restée aux Etats-Unis. Tous deux sont infectés par le virus Zika. Une autre étude, publiée en février 2015, mentionne la présence du virus dans le sperme d’un homme de 44 ans vivant à Tahiti (Polynésie française), quinze jours après le début des symptômes.
Des arguments insuffisants, selon les autorités, pour prouver une transmission par contact sexuel. Des cas d’infection lors de l’accouchement ont été également rapportés, sans conséquences notables pour la santé du nouveau-né. Quant à la transmission par transfusion sanguine, même si elle n’a jamais été mise en évidence, le risque ne peut être écarté, note l’HCSP. « L’Agence nationale de sécurité du médicament (Ansm) met en place des mesures qui prennent en compte ce risque », dit Jet de Valk.
Des traitements ou vaccins sont-ils disponibles ?
Non. Dans une interview à l’agence Reuters, Gary Kobinger, un chercheur de l’université Laval (Québec) a indiqué qu’un vaccin contre le virus Zika pourrait être testé chez l’homme à partir de septembre, et mis à disposition avant la fin de l’année. Il s’agit d’un vaccin à ADN, issu d’une collaboration entre l’université de Pennsylvanie, le groupe pharmaceutique Inovio et le groupe sud-coréen GeneOne Life Science.
« Il n’y aura probablement pas de vaccin sûr et efficace contre le virus Zika avant plusieurs années », a toutefois déclaré Anthony Fauci, directeur de l’Institut américain des allergies et maladies infectieuses (Niaid). Le Niaid explore plusieurs approches, l’une avec un vaccin à ADN, fondé sur son expérience d’un vaccin pour le virus West Nile, une autre avec un virus atténué. Dans un article, publié le 13 janvier dans le New England Journal of Medicine, Anthony Fauci souligne que la recherche d’un vaccin protégeant contre le Zika pourrait bénéficier des technologies utilisées pour d’autres flavivirus. De tels vaccins risquent cependant d’être confrontés aux mêmes écueils, poursuit le patron du Niaid. « Comme ces épidémies sont sporadiques et imprévisibles, une vaccination élargie en prévention d’une flambée serait d’un coût prohibitif avec un rapport coût/efficacité faible. Quant à l’option de constituer des stocks, elle ne pourrait probablement pas permettre de répondre assez rapidement à une épidémie explosive. »
En l’absence de traitement, les recommandations sont d’éliminer les gîtes potentiels de moustiques (vider, nettoyer ou couvrir tous les contenants susceptibles de retenir l’eau, comme les seaux, les pots de fleurs, soucoupes ou pneus, afin d’éliminer les endroits où les moustiques peuvent se reproduire). Les habitants sont invités à privilégier les vêtements longs, clairs de préférence, et à utiliser des répulsifs et des moustiquaires.
« Les Martiniquais, qui connaissent bien ces moustiques et ont vécu une épidémie de chikungunya en 2014, savent ce qu’il faut faire pour empêcher leur prolifération. Mais il faut une prise de conscience des populations de la nécessité impérieuse de lutter contre lesAedes », martèle Martine Ledrans. D’autant que ces moustiques deviennent de plus en plus résistants aux insecticides.
La métropole doit-elle s’inquiéter ?
Pour l’heure, cinq cas importés ont été recensés, mais des transmissions autochtones sont actuellement exclues, le moustique tigre présent dans le sud de la France n’étant actif que de mai à novembre. Il est néanmoins possible que de petits foyers s’y déclarent, comme cela a été le cas pour le chikungunya et la dengue, soulignent plusieurs spécialistes. Mais une véritable épidémie leur semble peu probable car les concentrations de moustiques sont bien plus faibles en France que sous les tropiques, de même que les concentrations humaines.
Le Monde – Par Pascale Santi et Sandrine Cabut