Dans une étude statistique des similarités phonétiques entre les langues parlées sur Terre, des chercheurs ont découvert un étrange lien entre le son et le sens des mots.
Tiré par les cheveux ? Bien sûr, ces conclusions peuvent se révéler fausses dans votre cas particulier… Mais elles valent à l’échelle statistique de toutes les langues parlées par les humains ! C’est ce qui se dégage d’une étude de très grande ampleur, la première aussi large, sur le lien entre la sonorité d’un mot et le sens associé dans notre esprit.
Les sons des mots, des conventions ?
On admet généralement que les mots des langues humaines sont des conventions qui, dans notre esprit, lient une idée, un objet, un phénomène, etc. à un ensemble de sons ne présentant pas d’analogie avec le signifié – sauf dans le cas des onomatopées ou encore des idéophones (comme “bling-bling” pour signifier quelque chose de clinquant).Certes, de nombreuses langues ont des ancêtres communs – par exemple, les langues de la lignée “indo-européenne” – expliquant par un héritage culturel la persistance de certains sons (ou phonèmes) associés à un sens ou à un type de mot. Mais l’étude menée par une équipe internationale de chercheurs va bien au-delà de ces questions culturelles.
62% de toutes les langues parlées sur Terre
Celle-ci affirme, grâce à une analyse statistique de mots courts appartenant à 62% de toutes les langues parlées sur la Terre (quelque 6000 en tout), représentant 85% des différentes lignées linguistiques, qu’il existe dans le langage humain un certain nombre de phonèmes, toujours les mêmes, souvent associés à une idée ou sensation. Ce qui remet en question l’hypothèse du pur arbitraire des sons du langage parlé.Pour effectuer cette analyse « son-sens », les chercheurs ont puisé dans la base de données Automated Similarity Judgment Program (ASJP), contenant des listes de mots (dans leur expression phonétique) ayant le même sens et recouvrant 62% de toutes les langues parlées. Une liste pouvant ainsi regrouper 40 à 100 traductions du mot “sang”, ou du mot “chien”, ou “aucun”, ou “tout”, etc.
Comparaisons entre langues éloignées
Tous des mots courts pris parmi les pronoms, les parties du corps, les mots liés à biens, les verbes d’action, les phénomènes naturels, mais en omettant les onomatopées et idéophones.Et pour écarter le biais statistique lié à des origines linguistiques communes (lignées), les chercheurs ont puisé dans des langues de secteurs géographiques bien séparés (Amérique du Nord, Amérique du Sud, Eurasie, Afrique, Australie, etc.).
Comment l’expliquer ?
Pour citer d’autres résultats que ceux déjà évoqués, ils ont découvert par exemple, que le son “L” est souvent associé à la partie du corps “langue”, le son “N” au nez, etc. Bien entendu, ce sont des tendances : par exemple l’association “i”=petit se vérifie dans 61% des cas, celle du “r” avec l’arrondi, dans 37 %. Mais cela montre que tous les sons ne sont pas équiprobables dans la constitution des mots : les humains en ont eu tendance à privilégier certains pour signifier un certain type de chose.Est-ce le retour de l’hypothèse de l’existence d’une “grammaire universelle” prédéterminée génétiquement ? Est-ce plutôt lié à l’existence hypothétique d’une unique langue originelle de l’espèce humaine ? Ou encore est-ce un (court-)circuit cérébral liant des sensations avec des sons (synesthésie) ? Les chercheurs posent la question, et ouvrent ainsi une nouvelle route de recherche en linguistique.
Roman Ikonicoff – Sciences & Vie